ISABEL MICHEL

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Peinture et poésie chez Isabel Michel :
l'intuition de la durée


Dans les peintures d'Isabel Michel, les formes entrent progressivement en coalescence - je veux dire par là qu'elles fusionnent, se superposent, croissent, se développent, se réunissent mais aussi s'écartent – sans oublier la présence en continu de cette respiration qui tantôt écarte les formes dans le blanc, tantôt les réunit et vient occuper la totalité de la surface avec des effets de laves en fusion. Ni pur instinct, ni machine à peindre, l'artiste est engagée dans une genèse longue qui l'absorbe longtemps et qu'elle ne peut pas lâcher. Elle poursuit sa démarche de toile en toile et de série en série, comment elle prolonge souvent une toile dans une autre pour donner un diptyque puis un triptyque. Il y a là comme la poursuite d'une rêverie dans la durée. Sa peinture n'est pas dans l'extériorité – et c'est pour cela qu'on y chercherait en vain des références extérieures à des formes géométriques ou organiques, à du paysage -, elle est dans l'intériorité et la rêverie et donc elle est aussi hermétique et secrète. Les formes renvoient à un ailleurs intérieur que nous ne pouvons que deviner, supputer, chercher à comprendre, saisir sans être certain d'atteindre le sens. Et néanmoins les formes visibles ne sont pas juste des formes visibles inertes – elles vivent de la poésie intérieure avec laquelle elles sont produites, de la rêverie de l'artiste au travail dans sa poésie.

Extraits d'un texte d'Yves Michaud (2017)
Isabel Michel Ce sont des formes oblongues, mais parfois elles se ramassent sur elles-mêmes, au lieu de s’étirer, et c’est la densité, alors, qui l’emporte sur la grâce. Ce sont des formes qui font penser à… mais sans que l’on puisse dire à quoi. Biomorphes, sans doute, mais alors, ici, c’est à quelques plantes inconnues, plus encore qu’à des corps, que l’on se prend à songer. Sans certitude. Et c’est bien là ce qui fait la qualité du travail d’Isabel Michel : sa qualité d’incertitude. Peinture abstraite, mais d’une abstraction que l’on sent extraite du monde : non pas au sens d’une coupure, mais, tout au contraire, parce que, chez cette artiste, extraire c’est concentrer, ne conserver de la vie nulle apparence extérieure pour mieux en exprimer la pulsation, le battement. Couvrir, découvrir, étaler la couleur, donner forme ronde et close à la couleur, peindre maigre et travailler la surface. Ainsi avance le travail d’Isabel Michel, dans ce balancement entre faire et défaire, qui est non pas hésitation mais conscience, poussée jusqu’à son point le plus aigu, de la précarité de l’acte de peindre.

Pierre Wat, historien et critique d'art, 2006